Que ce soit au Royaume Uni pour décider de l’avenir du pays dans l’Europe (et de son avenir tout court), ou aux Etats-Unis pour choisir le nouveau président (choix auquel nous ne pouvons être indifférents) ou, tout récemment en France, lors des récentes primaire pour désigner les futurs candidats à l’élection présidentielle, tous ces scrutins qui ont émaillés cette interminable période électorale présentent quelques points communs.
On pourrait naïvement penser que dans une démocratie qui fonctionne (ce qui est tout de même bien le cas dans ces trois pays, malgré quelques chaos), une élection sert à choisir un homme et un programme, le premier pour son aptitude présumée à diriger un État, le second parce que les électeurs l’estime souhaitable et réalisable. Eh bien, non! Il semble que ce soit là vue de l’esprit. Les électeurs britanniques, que ce soit délibérément ou par abstention, ont fait un choix qui produira vraisemblablement les effets inverses de ceux qu’attendaient les partisans du Brexit, tandis qu’aux Etats-Unis a été installé à la Maison Blanche un personnage fantasque qui, là encore, a fort peu de chances de réaliser un programme se résumant à « making America great again ». Certes, on pourra objecter que ce choix n’est pas conforme au résultat du vote populaire, puisque l’adversaire de Donald Trump avait une avance non négligeable en termes de suffrages, mais personne à ce jour n’a remis en cause ce mode de scrutin archaïque, légitimant ainsi le vainqueur de l’élection.
Le cas des primaires pour l’élection présidentielle en France n’est pas moins intéressant. La primaire de la gauche n’est pas encore achevée, mais déjà le résultat du premier tour reproduit de manière très similaire ce qui s’était passé lors de la primaire de la droite : le choix des électeurs s’est porté sur le candidat le plus inattendu et sur le programme le plus radical et le plus utopique. Personne ne met en doute les qualités d’homme d’état de François Fillon, Premier ministre pendant cinq ans, mais, même dans son camps, pas grand monde n’est convaincu de la faisabilité d’un programme dont la brutalité risque de mettre le pays dans la rue pour des gains économiques hypothétiques. Quant aux résultats du premier tour de la primaire de la gauche, les électeurs ont placé en tête un candidat auxquels ils ne croyaient pas vraiment puisque, si l’on en croit le sondage réalisé par BFMTV, à la différence des électeurs qui ont choisi Emmanuel Valls pour ses qualités d’homme d’état (à 52%) et ses chances d’être élu président de la République (à 30%), les électeurs de Benoît Hamon ne sont que 9% à trouver qu’il a les qualités nécessaires à un président et 3% à croire qu’il a le plus de chance d’être élu président en 2017. Au fond, c’est comme si une large partie des électeurs avaient déserté le réel pour se complaire dans des rêves qu’en eux-mêmes ils savent parfaitement irréalisables.
Comme disait quelqu’un qui s’y connaissait, « les faits sont têtus », se détourner de la réalité n’est pas seulement dangereux, parce qu’à marcher les yeux bandés, on risque l’accident, mais parce que c’est le plus sûr moyen de se priver des moyens de transformer le monde. La gauche, tout particulièrement, qui revendique cette ambition devrait y réfléchir.
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Election de Donald Trump
C’est une défaite, nette et totale. Présidence, Chambre des Représentants, Sénat, Donald Trump contrôlera tous les pouvoirs constitutionnels, le parti démocrate n’ayant même pas réussi à tempérer la victoire du candidat républicain par l’obtention de la majorité au Sénat. Certes, les pouvoirs du président des Etats Unis ne sont pas aussi étendus que l’on se l’imagine en France, il n’empêche, cette domination républicaine dans les deux pouvoirs, et bientôt dans les trois avec la Cour suprême, donnera toute latitude au futur président pour mettre en œuvre son programme. Dans quelle mesure le fera-t-il ? Les réticences au sein même du parti sur nombre de mesures annoncées par Trump et l’épreuve de la réalité du pouvoir par le président peuvent, bien sûr, infléchir la politique flamboyante du candidat, mais il ne faudrait pas sous-estimer la volonté de Donald Trump d’imprimer sa marque personnelle sur l’Amérique, comme il l’a fait de manière obsessionnelle sur toutes ses entreprises. Il serait certainement illusoire de croire que Trump au pouvoir se laissera guider ou circonvenir par des professionnels de la politique, fussent-ils du parti qu’il représente mais qu’il n’a cessé d’étriller durant toute sa campagne.
Cette élection, c’est une évidence, ne concerne pas seulement les Etats-Unis, mais aussi le reste du monde et l’Europe en particulier. Continuer la lecture
Clinton – Trump, troisième débat. “I will keep you in suspense”
Le troisième et dernier débat présidentiel n’a pas appris grand-chose de nouveau sur les candidats. Nettement plus maîtrisé pendant la première demi-heure que lors des deux précédents débats, lorsqu’ont été abordés les thèmes de la cour suprême, du second amendement et de l’immigration, Donald Trump a fait du Trump durant l’heure suivante. Eludant les questions directes du modérateur qui avait parfois peine à se faire entendre, sautant du coq à l’âne, interrompant sans cesse son adversaire (37 fois contre 5 pour Hillary Clinton selon le comptage), se cantonnant à des affirmations générales ou à des mises en cause non argumentées de son adversaire (notamment sur l’économie et la politique étrangère), Trump a conforté son image déjà désastreuse d’agitateur désordonné nullement taillé pour endosser les habits d’un président.
“I will keep you in suspense”
En refusant, comme la tradition politique américaine le veut, de dire s’il accepterait, le cas échéant, la victoire de son adversaire au soir de l’élection, Donald Trump a, sans aucun doute, commis une erreur majeure. Continuer la lecture
Bob Dylan et le Nobel – A true Poet
Il fallait s’y attendre, l’attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan n’a pas fait que des heureux. Saluée par beaucoup, et non des moindres, il s’est bien entendu trouvé le concert des pleureuses habituelles pour se lamenter que le choix du jury se soit porté sur un candidat aussi indigne à leurs yeux. Au-delà des jérémiades qui laissent souvent transpirer une envie verte, que valent les regrets des littérateurs (avec un grand L), des critiques littéraires et des éditeurs ? Pas grand-chose, ou plutôt si : d’être révélateurs de l’aliénation de nombre de professionnels de la culture, d’avec ce qui est la vraie nature de la littérature, dont la poésie – l’a-t-on oublié ? – est la mère.
Bob Dylan est un poète, et un grand. Continuer la lecture
Second débat affligeant
Le deuxième débat entre les deux candidats à l’élection présidentielle américaine a confirmé ce que l’on avait pu constater lors du premier : Hillary Clinton a largement dominé son adversaire et Donald Trump, empêtré dans les polémiques d’une semaine calamiteuse, a fait preuve, une fois de plus, d’une agressivité confuse et a affiché une ignorance patente des affaires publiques. Alors que la presse française tente curieusement de présenter ce débat comme une espèce de match nul, la presse américaine, à l’exclusion de quelques sites ultra conservateurs, considère unanimement que Clinton a gardé son avantage. Tout comme après le premier débat, il est douteux que Donald Trump ait gagné quelques électeurs, en revanche, s’il conserve sans aucun doute un socle électoral qui lui reste acquis quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise, il semble que ce socle tende à s’éroder. Les défections se multiplient parmi les soutiens qui lui restaient au sein du parti républicain et ses incartades vont jusqu’à semer le doute dans l’esprit de son colistier qui n’a pas dû apprécier que le candidat fasse état, devant des millions d’auditeurs, de leurs désaccords sur des questions importantes.
On ne sait si ce débat a été le pire de toute l’histoire américaine, comme l’a soutenu un commentateur, mais il a été certainement affligeant. Continuer la lecture
De l’utilité des débats
Le débat a eu lieu et s’il s’agissait de faire apparaître lequel des deux candidats présente, au moins à première vue, les qualités requises pour diriger un grand pays, la réponse a été très claire : il n’y en avait qu’un(e) seul(e) sur le plateau, Clinton.
Brouillon et confus, se maîtrisant difficilement, Trump a été pris à diverses reprises en flagrant délit de mensonge et, encore plus grave pour un homme politique, il s’est montré incapable en 90 minutes, d’articuler ne serait-ce qu’un embryon de programme. Une fois l’annonce répétée de réductions massives d’impôts pour les plus riches, et après avoir accusé le monde entier de « voler les jobs » des américains, il n’est guère sorti de son cas personnel et de ses succès d’homme d’affaires, n’hésitant pas à se féliciter d’avoir été suffisamment intelligent pour éviter de payer des impôts. En comparaison, Hilary Clinton a pu développer une vision et un programme, auxquels on n’est pas obligé d’adhérer, mais qui ont le mérite d’exister et d’avoir l’ambition de répondre de manière concrète à des enjeux réels. Et surtout, contrairement à son adversaire, elle donnait l’impression de savoir de quoi elle parlait. Continuer la lecture
Préserver l’Europe
Préserver l’Europe, contre tous ces bons esprits qui s’acharnent depuis quelques décennies, et plus encore récemment à ne trouver que des défauts, sinon des dangers, à cette construction si originale et tant porteuse d’espoir à son origine.
Ils n’ont pas de qualificatifs assez durs pour vilipender une Europe fantasmatique, accusée tantôt de technocratisme incontrôlé, tantôt de libéralisme débridé, tantôt d’ignorer les citoyens, tantôt de les poursuivre d’un zèle aussi abusif que tatillon. Raillée par les uns pour son impotence supposée, elle est dénoncée par les autres comme un dangereux autocrate sans visage. Certes, la critique a pu parfois être facilement justifiée lorsqu’elle s’est laissée aller à des surenchères régulatrices aussi inutiles que ridicules. Mais que pèsent les errements sur le camembert au lait cru ou sur la teneur en beurre de cacao, face aux immenses réalisations de cette entreprise unique en son genre ? Et pas seulement le tour de force d’avoir réussi à exister et à prospérer pendant 70 ans (l’Union soviétique n’en a pas fait autant), pas seulement d’avoir garanti la paix sur le continent pendant tout ce temps. Continuer la lecture
La Grèce au bord du referendum
La Grèce au bord du referendum
Dans quelques heures, les Grecs auront décidé s’ils souhaitent continuer d’appartenir à l’Union européenne, ou s’ils choisissent d’affronter un destin solitaire. Car, malgré les déclarations plus ou moins lénifiantes des partenaires européens qui, pour diverses raisons et à des degrés divers, affirment que la Grèce doit rester dans l’Union, et malgré les mensonges du gouvernement grec qui prétend contre toute raison que sa démarche est constructive, c’est bien de cela qu’il s’agit. Continuer la lecture
Cuba au pied du mur
L’annonce par le président Obama de la normalisation prochaine des relations entre les Etats-Unis et Cuba ferme une parenthèse de cinquante-trois ans et ouvre la voie au rétablissement de relations diplomatiques, économiques et humaines entre les deux pays.
Cette décision est le résultat d’un constat d’échec, clairement formulé par Barak Obama, de la politique d’isolement et d’embargo imposée par les gouvernements américains successifs depuis la victoire de la révolution cubaine. Du simple fait que Fidel Castro et son régime aient pu survivre, en dépit des vicissitudes, à onze présidents américains successifs, on pouvait s’en douter. Mais encore fallait-il que le président actuel le dise tout haut et en tire les conséquences pratiques. En politique, les décisions les plus évidentes ne sont pas toujours les plus faciles à prendre, celle-ci est bien un geste courageux qui mérite d’être salué. Continuer la lecture
De l’exercice du pouvoir, ailleurs comme ici.
Au mois de septembre 1993, à Koudougou, lors des funérailles de Maurice Yaméogo, premier Président de la République de Haute-Volta, avant que le pays ne change de nom, tous les chefs d’Etat qui lui avaient succédé étaient présents. A priori, quoi d’extraordinaire à cela ? Seulement voilà, tous ces personnages, ou presque, avaient pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, chacun renvoyant son prédécesseur à une retraite précoce, ou à l’exil dans le cas de Maurice Yaméogo qui n’était revenu au pays que dans un cercueil.
Seul manquait à l’appel Thomas Sankara, disparu dans des circonstances encore obscures, lors de son renversement par le capitaine Blaise Compaoré quelques années plus tôt. Pour un observateur ordinaire de la scène africaine, le spectacle de cette brochette de comploteurs que l’ex-capitaine, désormais Président, avait magnanimement invités, figés côte à côte au bord de la fosse, entourés d’une foule qui se pressait dans une chaleur écrasante, avait quelque chose de surréaliste. D’ordinaire, en Afrique, les perdants ne sont pas de la fête. Continuer la lecture