Le débat a eu lieu et s’il s’agissait de faire apparaître lequel des deux candidats présente, au moins à première vue, les qualités requises pour diriger un grand pays, la réponse a été très claire : il n’y en avait qu’un(e) seul(e) sur le plateau, Clinton.
Brouillon et confus, se maîtrisant difficilement, Trump a été pris à diverses reprises en flagrant délit de mensonge et, encore plus grave pour un homme politique, il s’est montré incapable en 90 minutes, d’articuler ne serait-ce qu’un embryon de programme. Une fois l’annonce répétée de réductions massives d’impôts pour les plus riches, et après avoir accusé le monde entier de « voler les jobs » des américains, il n’est guère sorti de son cas personnel et de ses succès d’homme d’affaires, n’hésitant pas à se féliciter d’avoir été suffisamment intelligent pour éviter de payer des impôts. En comparaison, Hilary Clinton a pu développer une vision et un programme, auxquels on n’est pas obligé d’adhérer, mais qui ont le mérite d’exister et d’avoir l’ambition de répondre de manière concrète à des enjeux réels. Et surtout, contrairement à son adversaire, elle donnait l’impression de savoir de quoi elle parlait.
Quant à savoir si ce débat, le premier d’une série de trois, influera de manière déterminante sur la décision des électeurs, c’est moins évident, mais on peut penser que la candidate démocrate, après un passage à vide, a nettement repris l’initiative et qu’elle peut non seulement consolider, mais encore étendre sa base électorale. Ses prises de position en faveur d’un salaire minimum, de l’instauration d’un congé maternité, de l’égalité salariale hommes-femmes, d’une fiscalité plus juste, étaient de nature à rassurer au moins une partie de l’électorat qui avait soutenu Bernie Sanders et qui restait sceptique quant au positionnement d’Hillary Clinton sur les questions sociales.
Le candidat républicain, lui, n’aura certainement pas gagné un électeur ce soir-là, mais il n’est pas sûr qu’il en ait perdu beaucoup. Trump ne tire certainement pas ses connaissances superficielles de livres qu’il ne lit pas, mais il parle le langage de son électorat. C’est son côté « brèves de comptoir », pagailleux, simpliste, à l’emporte-pièce, qui plaît. Son discours n’invite pas à la discussion : partant d’une affirmation anxiogène (l’Amérique va de plus en plus mal), il stigmatise des coupables (la Chine, le Mexique, les immigrants, qui « nous volent nos jobs », les alliés de l’OTAN qui n’assument pas leur part du fardeau de la défense) et brandit des solutions limpides (on les fera payer, on va les mettre dehors, on ne les protègera plus). Et tant pis s’il est faux que les Etats-Unis soient au bord du déclin (ils se portent bien mieux qu’il y a dix ou quinze ans), et tant pis si aucune des solutions qu’il propose n’est envisageable dans un monde où aucun pays, si puissant soit-il ne peut prospérer tout seul derrière une nouvelle ligne Maginot. Mais pour tous ceux qui n’ont pas vu leur situation s’améliorer (ils ont certes un job, mais leur salaire n’a guère évolué depuis dix ans), Trump, l’anti-système, est leur porte-parole. Ce qui ne manque pas d’être paradoxal, dans la mesure où les Trumps et leurs semblables, affairistes sans scrupules, sont assez largement à l’origine des crises qui ont ruiné une partie des Américains.
Qu’un homme comme Trump dont l’incompétence en matière d’affaires publiques et l’imprévisibilité ont été clairement mises à jour hier soir, soit parvenu à représenter le parti républicain et à être considéré comme un candidat crédible par une part notable des électeurs américains doit inciter à réfléchir sur les failles des systèmes démocratiques qui ne garantissent nullement de porter toujours au pouvoir des individus compétents, intègres, ni même, tout simplement, démocrates.