Cuba au pied du mur

L’annonce par le président Obama de la normalisation prochaine des relations entre les Etats-Unis et Cuba ferme une parenthèse de cinquante-trois ans et ouvre la voie au rétablissement de relations diplomatiques, économiques et humaines entre les deux pays.

Cette décision est le résultat d’un constat d’échec, clairement formulé par Barak Obama, de la politique d’isolement et d’embargo imposée par les gouvernements américains successifs depuis la victoire de la révolution cubaine. Du simple fait que Fidel Castro et son régime aient pu survivre, en dépit des vicissitudes, à onze présidents américains successifs, on pouvait s’en douter. Mais encore fallait-il que le président actuel le dise tout haut et en tire les conséquences pratiques. En politique, les décisions les plus évidentes ne sont pas toujours les plus faciles à prendre, celle-ci est bien un geste courageux qui mérite d’être salué.
Certes, entre cette annonce et la normalisation complète des relations et la levée totale de l’embargo, il y a encore un chemin à parcourir sur les quel les opposants au changement du statu quo mettront tous les obstacles possibles. A commencer par certains membres du congrès comme le sénateur républicain Marco Rubio, porte-parole des anti-castristes irréductibles de Floride, qui n’a pas eu de mots assez durs pour condamner la décision d’Obama, qualifié de « pire négociateur qu’il y ait eu à la Maison Blanche ».

Il y a toutefois tout à parier que les choses iront à leur terme sans trop de difficultés. Comme le monde autour d’elle, la diaspora cubaine a évolué. Les jeunes générations, et souvent leurs parents eux-mêmes, n’ont pas connu le régime castriste et sont plus enclines à considérer sereinement une amélioration des relations qui leur permettraient de renouer avec le pays de leurs origines. Le sujet est moins chargé politiquement qu’il ne l’était dans le passé et, surmonté le premier choc, il n’est pas certain que cette décision se révèle au final handicapante électoralement pour les Démocrates.
Les milieux d’affaires américains, de leur côté, ne peuvent que constater avec un certain dépit qu’ils sont bien les seuls à ne pouvoir commercer avec l’île distante d’à peine 150 kilomètres de la Floride, la plupart des pays, y compris les membres de l’Union européenne ne se gênant guère pour le faire en dépit des contraintes de l’embargo. Un nouveau marché, voisin de surcroît, ne serait pas pour leur déplaire.
Enfin, et on peut imaginer que le président l’avait à l’esprit, la normalisation des relations entre les deux pays lèvera l’un des irritants récurrents dans les relations des Etats-Unis avec les pays d’Amérique latine qui constituait un des rares sujets sur lesquels le président Maduro, et avant lui Hugo Chavez, étaient capables de rallier un consensus.

Cette avancée, dont Cuba devrait être à court terme le premier bénéficiaire, a –t-elle été obtenue à bon marché par le régime de la Havane, comme l’affirment ceux qui doutent de la réalité de la volonté de changement des autorités cubaines qui, sans doute, auront plus de réticences à desserrer le carcan politique qu’à élargir la libéralisation de l’économie ? Là non plus, bien évidemment, l’ouverture politique ne se fera pas sans résistances et raidissements. Mais Cuba n’est ni la Chine, ni même le Vietnam, qui peuvent se permettre de faire coexister capitalisme débridé et monopole politique du Parti Communiste, grâce à un habile mélange de dynamisme économique et de traditions héritées de l’Histoire. A la tête d’un pays ruiné, Raul Castro risque fort d’endosser le rôle d’un Gorbatchev des Caraïbes.
Le risque pour le peuple cubain est probablement moins que l’ouverture démocratique et les droits de l’homme ne soit oubliés en route, mais davantage que la vague du changement que va provoquer l’ouverture du pays n’emporte sur son passage les équilibres sociaux que le régime castriste, avec ses défauts les plus exécrables comme avec ses qualités, avait contribué à préserver, ou même à établir. Le pire scénario serait une déstructuration brutale de la société cubaine et le retour au statu quo ante Castro.

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