La Grèce au bord du referendum
Dans quelques heures, les Grecs auront décidé s’ils souhaitent continuer d’appartenir à l’Union européenne, ou s’ils choisissent d’affronter un destin solitaire. Car, malgré les déclarations plus ou moins lénifiantes des partenaires européens qui, pour diverses raisons et à des degrés divers, affirment que la Grèce doit rester dans l’Union, et malgré les mensonges du gouvernement grec qui prétend contre toute raison que sa démarche est constructive, c’est bien de cela qu’il s’agit.
Ces quelques lignes ne sont pas d’un hellénophobe virulent, mais bien au contraire, de quelqu’un qui connaît et aime intimement la Grèce et les Grecs, fruits d’une histoire longue et complexe. D’où la rage que l’on ressent au spectacle lamentable qu’offrent les dirigeants grecs actuels qui mènent une fois de plus leur pays dans le mur.
Il faut d’abord régler leur compte à un certain nombre d’idées qui, propagées par le psittacisme médiatique, finissent par acquérir une sorte de valeur indiscutable.
1. Les dirigeants grecs, soutenus par une fraction la plus obtuse de la gauche française, se présentent aujourd’hui comme les parangons de la démocratie, comme les symboles flamboyants de la résistance à une entité hostile et confuse dans laquelle ils fourrent en vrac, les institutions de l’Union, les banques, l’Allemagne, quelques dirigeants copieusement insultés et le capital en général.
Comme l’a rappelé opportunément Jean-Claude Juncker, la démocratie dans l’Union, et plus précisément dans l’Union monétaire, ce n’est pas 1 pays démocratique contre 18 autres. Et, par ailleurs, les institutions européennes en général, et les individus qui les représentent, ont une légitimité forte, qui ne saurait être balayée d’un revers de main au gré des circonstances. Cette légitimité, elle ne tient pas forcément à l’issue d’une consultation électorale classique, mais à un ensemble de pratiques et de règles civilisées, élaborées au cours de six décennies, fruits de négociations permanentes entre les représentants des Etats, dont la légitimité démocratique n’est certainement pas moindre que celle de MM Tsipras ou Varoufakis.
A ce propos, d’ailleurs, le fait que le gouvernement Tsipras ne dispose d’une majorité parlementaire que grâce à son alliance avec le parti de la droite la plus ultraconservatrice, « Les Grecs indépendants », qui a obtenu le ministère de la Défense, ne semble ni avoir retenu particulièrement l’attention des commentateurs, ni avoir ému outre mesure notre gauche de la gauche pourtant prompte, avec raison, à appeler à combattre l’extrême droite où qu’elle se trouve. Soyons clairs : le gouvernement grec aujourd’hui, c’est Mélenchon et Marine le Pen au pouvoir.
2. « On ne nous a pas aidés ! » La Grèce, plus que la plupart des autres partenaires de l’Union, à l’exception de l’Irlande peut-être, à massivement bénéficié des fonds structurels. Ces fonds ont été d’ailleurs plutôt bien utilisés et il suffit de se souvenir de ce qu’était la province grecque au sortir de la dictature des colonels pour mesurer la transformation profonde et bénéfique que le pays a connu depuis : développement spectaculaire des infrastructures et de la qualité du secteur du tourisme, modernisation de l’agriculture, même si dans ces derniers domaines des progrès restent à faire.
L’endettement de la Grèce n’est pas le résultat du complot d’un syndicat de banquiers aux doigts crochus, mais bien de l’irresponsabilité des dirigeants successifs qui ont dépensé à court terme un argent facile, avec exactement la même inconscience que leurs prédécesseurs du XIXème siècle. Aujourd’hui les créanciers étrangers ne saisissent plus les recettes douanières ni telle ou telle source de revenus du pays débiteur, on lui demande de faire des efforts de gestion. Est-ce vraiment insupportable ?
3. « L’austérité a échoué ». Le citoyen grec a sans nul doute souffert ces dernières années, mais d’autres aussi. Portugais, Slovaques, Lettons se sont imposés des programmes drastiques et se sont relevés. La Grèce, loin d’être au bord du gouffre, était désormais prête à repartir. En aucun cas les mesures que la Grèce a dû adopter ou celles contenues dans les dernières propositions des « créanciers » ne sont le résultat d’un diktat de l’étranger. Elles étaient et sont d’abord le fruit d’une négociation entre partenaires d’une même Union, et on ne peut pas tout simplement ignorer que la Grèce est membre du FMI. Le principe au cœur même du fonctionnement de l’Union européenne, depuis sa création, est celui de la négociation permanente, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé. Cela peut parfois prendre une tournure caricaturale, mais cela a quasiment toujours fini par fonctionner, et dans le cas de la Grèce, la négociation aurait abouti (elle était d’ailleurs quasiment bouclée). Mais les dirigeants grecs voulaient-ils réellement endosser un accord qui leur aurait fait perdre de leur superbe en les contraignant à revenir à la réalité prosaïque? Il y a deux manières de faire traverser à un peuple une épreuve difficile. Les dirigeants peuvent choisir d’être churchilliens et d’amener leurs concitoyens à tirer de leurs efforts et de leurs sacrifices fierté et cohésion nationale, ou bien d’être pétainiste et de larmoyer en rejetant la responsabilité de leurs propres turpitudes sur les autres : « les banques », « les créanciers » « les forces réactionnaires », comme autrefois on accusait « les juifs », « les francs-maçons, « les ploutocrates apatrides ». Le gouvernement grec a clairement fait son choix.
4. Cette posture n’est certes pas nouvelle. C’est du papandréisme de la pire espèce. Le vieil Andréas avait usé et abusé des moulinets de sabre de bois et des pratiques populistes. Avec toutefois une différence majeure. Lorsque le PASOK, la gauche donc, arrive au pouvoir en Grèce, pour la première fois depuis la guerre, le pays sort d’une longue période de domination d’une droite fort peu éclairée, voire fascisante pendant la période de la dictature. Les séquelles de la guerre civile structurent encore fortement l’échiquier politique et les mentalités. La société grecque connaît une mutation profonde avec la montée d’une classe moyenne éduquée que traduit du reste sur le plan pollitique l’arrivée du PASOK au pouvoir (et qu’il trahira par la suite). Les Grecs ont alors le sentiment d’accéder une deuxième fois à l’indépendance lorsque leur gouvernement fait entendre une voix dissonante sur la scène internationale, tout en profitant largement des moyens que lui offre désormais l’adhésion à la communauté européenne. Certes, le Papandréou d’alors était agaçant et sa politique, pas toujours très claire, était fréquemment désinvolte à l’égard de ses alliés. Mais on pouvait passer ses fantaisies en se disant que c’était une phase, qu’il fallait que le peuple grec regagne confiance en lui et respect.
Aujourd’hui, la situation est profondément différente. La génération de la guerre civile a disparu, ou est retirée des affaires. Au cours des vingt dernières années, la génération qui lui a succédé n’a plus comme référence les affrontements violents de l’après-guerre. Elle a grandi dans un environnement apaisé et son horizon politique et culturel était l’Europe, ou plus largement le monde occidental, et non plus un Tiers Monde mythique ou un Moyen Orient avec lequel les dirigeants du PASOK entretenaient des rapports ambigus. La tentative de Syrisa et du gouvernement Tsipras de réveiller de vieux réflexes conspirationnistes chez un peuple qui, dans son Histoire, a eu quelques raisons de se méfier de l’étranger, est perverse, car elle renvoie trente ou quarante ans en arrière un pays qui, malgré l’incurie de ses dirigeants et le poids des habitudes, a su évoluer. Cette tentative ne mérite aucune excuse. Ici et là on entend des commentateurs et des responsables politiques ou des « experts », français notamment, professer gravement que l’Union européenne, c’est à dire nous tous, porte une lourde responsabilité dans la situation de la Grèce. Ce sont en général à peu près les mêmes qui argumentent que l’Occident est responsable de l’apparition et de la montée de l’Islamisme radical. Cette posture de culpabilité est bien connue et n’est pas nouvelle. Raison de plus pour la combattre et s’en tenir aux faits. Les Grecs sont probablement parmi les peuples les plus intelligents, si toutefois il est possible de définir l’intelligence d’un peuple. Les Grecs, en tous cas, sont instruits, curieux, éminemment adaptables, ouverts, polyglottes et, à l’étranger, ils réussissent admirablement dans tous les domaines. Les nouvelles générations ne demanderaient pas mieux que de réussir aussi bien dans leur propre pays. Quel horizon leur offre Syrisa et ses alliés ? Une Grèce rabougrie sur elle-même, accrochée à des mythes déjà dépassés sitôt formulés. Son discours déconnecté de la réalité, ses palinodies et ses rodomontades ubuesques ne font que générer anxiété et frustration alors que, particulièrement en période de crise, la bonne stratégie serait de fixer un cap et de rendre à une population qui le mérite, espoir et respect de soi.
En appelant à voter non à ce referendum hâtivement organisé, le gouvernement Tsipras tente, encore une fois de manière perverse, de jouer sur les symboles et les références du passé. Le « OXI » qui fleurit en gros caractères dans les rassemblements des partisans du gouvernement n’est pas anodin. Il évoque immanquablement chez les citoyens grecs, le « NON » du gouvernement à l’ultimatum italien d’octobre 1940, et rappelle à chacun la réaction courageuse de la Grèce d’alors à l’ingérence étrangère. SI le non l’emporte, il n’est pas exclu, comme veulent le croire les dirigeants grecs, que les négociations reprennent et qu’une forme d’accord soit finalement trouvée. Rien n’est moins sûr toutefois, compte tenu de l’exaspération des partenaires européens. Et, de toutes manières, ce qui s’est passé ces derniers jours laissera des traces durables. Et ce n’est pas ce gouvernement méprisé et décrédibilisé qui regagnera la confiance de ses partenaires. Il faudra encore du temps et bien des efforts pour que la Grèce retrouve sa place.
Encore une fois, les Grecs ne méritaient pas cela.