Le deuxième débat entre les deux candidats à l’élection présidentielle américaine a confirmé ce que l’on avait pu constater lors du premier : Hillary Clinton a largement dominé son adversaire et Donald Trump, empêtré dans les polémiques d’une semaine calamiteuse, a fait preuve, une fois de plus, d’une agressivité confuse et a affiché une ignorance patente des affaires publiques. Alors que la presse française tente curieusement de présenter ce débat comme une espèce de match nul, la presse américaine, à l’exclusion de quelques sites ultra conservateurs, considère unanimement que Clinton a gardé son avantage. Tout comme après le premier débat, il est douteux que Donald Trump ait gagné quelques électeurs, en revanche, s’il conserve sans aucun doute un socle électoral qui lui reste acquis quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise, il semble que ce socle tende à s’éroder. Les défections se multiplient parmi les soutiens qui lui restaient au sein du parti républicain et ses incartades vont jusqu’à semer le doute dans l’esprit de son colistier qui n’a pas dû apprécier que le candidat fasse état, devant des millions d’auditeurs, de leurs désaccords sur des questions importantes.
On ne sait si ce débat a été le pire de toute l’histoire américaine, comme l’a soutenu un commentateur, mais il a été certainement affligeant. Dans les quatre-vingt-dix minutes de ces échanges dont le ton a été donné par le candidat républicain, c’est à peine si une fraction a pu fournir un aperçu du programme que les candidats entendaient mettre en œuvre s’ils étaient élus. A la manière des orgues de Staline, arme de saturation du champ de bataille connue pour son imprécision, Donald Trump a encombré le débat par un discours répétitif, parfois à la limite du compréhensible, autant qu’il l’a pollué par une rhétorique violente et mensongère. Éludant les questions qui le gênaient, il a enchaîné les contre-vérités, trop nombreuses pour être toutes relevées par son adversaire. Peu lui importait que les chiffres qu’il avançait comme autant d’arguments, en matière de croissance, de déficit du commerce extérieur, de fiscalité, soient tous faux, de même que le présumé coût de « l’Obama care », ou encore son affirmation que Daech contrôle le pétrole en Libye, ou que les Russes et les Iraniens sont les seuls à frapper Daech en Syrie. Devant cette avalanche de contre-vérités, Hillary Clinton n’a pas été en mesure de démonter chacune de ses assertions, mais elle a pu retourner contre Donald Trump l’argument avec lequel il entendait la discréditer. A l’agitation brouillonne de son adversaire, qui l’accusait d’avoir passé trente années en politique (et donc de faire partie de l’establishment honni) à ne rien faire, elle a opposé l’avantage de l’expérience des affaires et un discours structuré et clair.
Ce spectacle était atterrant et pose quelques questions.
La première est évidemment : comment en est-on arrivé à cette situation où l’un des deux plus grands partis politiques de la démocratie la plus puissante de la planète ne trouve rien de mieux pour le représenter dans la course à la présidence qu’un bateleur bruyant, ignorant et vulgaire ?
La deuxième interrogation concerne le bien-fondé de ce type de débat. Certes, ces deux rencontres ont mis en évidence l’inconsistance du candidat Trump. Mais à quel prix ! De ces matchs de catch où les protagonistes s’autorisent tous les coups, ni les candidats, ni la politique ne sortent grandis. Les citoyens américains (et ceux des autres pays aussi, dans la mesure où la manière dont les États-Unis seront gouvernés ne sera pas sans influence sur leur existence) étaient en droit d’en savoir davantage sur les propositions des candidats et sur la manière dont ils entendent exercer leur charge. A de rares moments près, ils seront demeurés sur leur faim. Donald Trump en est resté à des généralités et des approximations, quant à Hillary Clinton, en l’absence d’échanges substantiels sur les questions économiques et politiques, elle a dû se résoudre à renvoyer les téléspectateurs à la consultation de son site internet pour plus d’information. Alors, pourquoi débattre ?
En soi le débat est inhérent à la pratique démocratique. Encore faut-il qu’il ne soit pas perverti ni dévié de sa fonction première qui est la confrontation des idées et des propositions. L’envahissement de la télé-réalité (exercice dans lequel Trump a longtemps excellé), la prolifération des émissions de pseudo débats focalisés sur les aspects les plus anecdotiques ou les plus futiles de la personnalité des invités, loin de revitaliser le discours politique et l’exercice de la participation des citoyens, relèguent depuis des années les vraies questions au second plan au profit d’un spectacle de bas niveau. Il ne sert à rien de rejeter la responsabilité de ce délitement de la pratique démocratique sur les uns ou sur les autres. Tous sont responsables : les médias parce que trop de commentateurs et d’animateurs n’ont pas résisté à la tentation de gagner en popularité en jouant sur des transgressions faciles, les politiciens, les intellectuels et les artistes, parce qu’ils ont collaboré avec plus ou moins d’enthousiasme ou de résignation à ces mises en scène, et les citoyens parce qu’ils y ont pris goût et qu’ils se sont laissé persuader que c’est là ce qu’ils désiraient.
Il n’y a pas encore de Trump en France, mais les ingrédients de cette cuisine peu ragoûtante sont bien là. Cela devrait donner à réfléchir. (PR)