Il faut bien commencer par-là : la candidate du Front National est qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle. On peut se réjouir que son score ne soit pas aussi extraordinaire qu’attendu au vu de certains sondages, on peut être soulagé de ce que le candidat arrivé en tête ne soit pas un des nombreux autres vendeurs de lune qui étaient sur la ligne de départ. Il n’empêche, sa présence et son relatif succès est le signe d’un échec grave.
L’ensemble de la classe politique française porte sans doute une responsabilité dans cette situation. Mais celle de la gauche est particulièrement lourde. La candidature destructrice du chef de la « France insoumise » en premier lieu n’y est pas pour rien. En faisant le choix d’une démarche solitaire, en désignant la social-démocratie réformiste comme l’ennemi prioritaire, il a condamné d’avance toute tentative de rassemblement des forces de gauche autour du parti socialiste. Mélenchon passera peut-être dans l’Histoire comme celui qui a fini par faire éclater le parti socialiste, mais il ne devrait pas en tirer gloire, car, pour ceux qui ont un minimum de culture historique, cela rappelle un peu trop les stratégies suicidaires des partis communistes de l’entre deux guerre qui ont préféré fermer les yeux sur la montée au pouvoir des partis totalitaires si cela pouvait anéantir les « sociaux-traîtres ». A cet égard, son refus d’appeler clairement à voter pour l’adversaire de Marine le Pen au second tour est significatif et cohérent avec sa stratégie d’avant le premier tour. Elle n’en manque pas moins de décence.
Le candidat Hamon, de son côté, récolte ce qu’il a semé. S’étant trompé d’époque et de programme, et visiblement peu doué pour l’analyse politique, il a pensé pouvoir refaire l’Union de la gauche et le programme commun. Il se trouve que depuis 1981 le monde et la France ont changé. Le PS de 2017 n’était plus la formation montante hégémonique de l’époque et Benoît Hamon n’avait rien d’un Mitterrand. Ne pas avoir compris que la raison d’être de Jean-Luc Mélenchon passait pas la destruction du parti socialiste et que donc, aucun accord ne serait possible avec lui, sauf à déboucher sur une capitulation, relève d’un singulier aveuglement.
Pour ces deux candidats, il ne suffira pas de s’en tirer par la pirouette habituelle qui consiste à rejeter la responsabilité de la progression de l’extrême droite sur la mondialisation, les prétendues politiques libérales, l’Europe, ou les banques. La vérité est qu’en se montrant incapables de produire un programme intelligent et faisable, porté par une personnalité crédible, les forces de gauche ont laissé l’extrême droite sans véritable adversaire. Pire, en présentant des programmes simplistes et incohérents, faisant appel davantage à l’émotion qu’à la raison, elles ont contribué, de la même manière que l’extrême droite, à duper les électeurs en leur faisant croire qu’à des situations complexes il n’y avait que des solutions simples et radicales.
Ceci pourrait d’ailleurs largement s’appliquer aux candidats de la droite.
Aujourd’hui, l’urgence n’est plus de pointer tous les aspects irréalistes, dangereux, voire carrément anti démocratiques des programmes de ceux qui ne seront pas au second tour. L’urgence est d’éliminer au second tour la candidate du Front national, non seulement pour tout ce que représente ce parti, son histoire et sa violence, mais parce que son programme qui repose sur des bases mensongères, serait parfaitement suicidaire pour la France. Il serait sans doute, par contrecoup, également ruineux pour la plupart des pays européens qui devraient gérer l’éclatement de la construction européenne et la disparition probable de l’euro, mais pour s’en tenir à la France, le rétrécissement sur le plan économique, financier, politique et diplomatique serait tel que le pays mettrait des années à se stabiliser en ayant abandonné toute ambition de peser sur la scène internationale.
Évidemment, on peut objecter que, même si Marine le Pen parvenait à se faire élire, il est très probable qu’elle serait incapable d’obtenir une majorité parlementaire qui lui permette de gouverner. La France serait condamnée pour les cinq prochaines années à une cohabitation morose et le programme du Front national resterait dans les cartons. Ceci est sans doute exact, mais ne doit pas conduire à la tentation d’une indifférence qui se traduirait par une abstention ou un vote blanc. La défaite de la candidate de l’extrême droite doit être massive et sans appel. Pour cela, il est moralement et politiquement impératif de voter, non pas seulement contre la candidate Marine le Pen, mais pour tout ce qu’elle rejette : une France apaisée dans une Europe ouverte et forte.
Au-delà du second tour, la recomposition probable du champ politique français devra évidemment tenir compte de ce qui s’est passé pendant ces quelques derniers mois. Les errements et les ambitions personnelles des uns et des autres auront au moins eu pour avantage de faire apparaître au grand jour, dans chaque grande formation, des lignes de fractures qui ne pourront plus être masquées par des synthèses bancales ou des arrangements d’appareils.
A gauche, notamment, le paysage est clair désormais. D’un côté une gauche social-démocrate réformiste et réaliste, d’un autre une gauche utopique qui s’est dans cette élection scindée en deux sous-ensembles : une gauche hamoniste rêveuse et déconnectée à laquelle la réalité s’est brutalement rappelée le 23 avril, et une gauche mélenchoniste, tout aussi éloignée du réel, mais qui a su séduire par des effets d’estrade un électorat porté aux solutions simples et auquel, sans doute, personne d’autre n’avait su parler. Cette gauche-ci, à la différence de la précédente, sans doute vouée à l’extinction, a peut-être un avenir. En refusant de prendre parti entre les deux candidats du second tour, Jean-Luc Mélenchon ménage l’avenir et se projette sans doute déjà dans les législatives. Depuis la quasi disparition du parti communiste, une place de trublion est à prendre, et il est certain que le chef de la France insoumise se verrait bien à la tête d’une cinquantaine de députés dans la prochaine Assemblée nationale, de manière à peser sur de futures coalitions.
Reste la gauche social-démocrate, à reconstruire. Est-ce que cette reconstruction se fera au sein ou en dehors du parti socialiste tel que nous le connaissons ? Le très proche avenir le dira, mais il est certain que ceux qui au cours des dernières années n’ont eu de cesse de saper ouvertement les efforts du gouvernement et de vilipender les réformistes pourront difficilement y trouver leur place.
Le dernier enseignement de cette élection est celui-ci : le phénomène Macron comporte encore bien des incertitudes. Son programme est certes plus concret que ses détracteurs le prétendent, mais, surtout, il n’y a aucune certitude que son mouvement puisse obtenir une majorité suffisante pour gouverner seul. Sa démarche, fondée sur le rassemblement, qui agrège des personnes venues d’horizons politiques très divers montre cependant peut-être une voie possible pour faire évoluer la pratique politique française. La culture politique française que nous connaissons depuis toujours est celle de l’affrontement. Nous contre les autres, la vérité chez nous, l’erreur, voire la malhonnêteté, chez les autres. Chaque scrutin ressemble à une mise à mort. Chaque parti, lorsqu’il arrive au pouvoir, prétend avoir trouvé le pays au bord du gouffre et affirme disposer des remèdes miracles qui vont le remettre sur pieds en moins de deux. Qui peut encore y croire ? Et comment s’étonner dans ce cas de la décrédibilisation du discours politique ?
Contrairement à ce que prétendent les populistes de tous bords, la classe politique française est à l’image de la société, ni meilleure, ni pire, et plutôt de bonne qualité dans l’ensemble. Il y a à gauche comme à droite un large vivier de personnes intelligentes et honnêtes et de propositions qui vont dans le sens du progrès social et économique.
Il est peut-être temps, sans renier aucunement ses convictions, ni ses engagements, d’explorer des voies pour travailler de concert, comme les grands partis de la République fédérale allemande ont su le faire à divers moments critiques de leur pays.(PR)
Bravo et merci pour cette excellente et réaliste analyse
Analyse qui me parle…j’ai voté Macron (comme j’avais voté Bayrou) parce que j’espère depuis longtemps que nous arriverions un jour à trouver une manière plus efficace de gérer un pays en acceptant les bonnes idées d’un bord comme de l’autre selon une ligne directrice claire mais adaptable aux changements (je sais, c’est faire preuve selon certains d’une naïveté ou d’un utopiste navrant)….J’espère encore !
Bravo Pierre,
content de te lire aussi aiguisé , alerte et vibrant de sincérité.
A quand un passage à Montréal ?
Amitiés
Michel
Excellente et passionnante analyse, cher Pierre.
Excellente analyse mon cher Pierre que je partage. J’ai voté Macron car il représente peut-être une manière plus lucide et extérieure au carcan des idéologies que l’on nous sert tant à droite qu’à gauche de l’échiquier politique. Ici à Montréal nous avons galéré lors du déroulement du 1er tour et je peux te parler en connaissance de cause ayant été président d’un bureau de vote. Bonne continuation et marci encore d,avoir partagé tes impressions avec nous. Elie