Triple menace

Les pays européens sont aujourd’hui confrontés à une triple menace. Une agression armée qui rappelle celle qu’ils ont subie il y a 75 ans de la part de l’Allemagne nazie, (les fondements idéologiques du nazisme et ceux du poutinisme sont certes différents, mais les méthodes sont très similaires). Une menace interne sur la stabilité des régimes démocratiques de la part de partis et groupes dont l’influence et l’emprise vont croissantes dans un certain nombre de pays  (lorsqu’ils ne sont pas déjà au pouvoir). Et, désormais, une menace multiforme de la part du pays allié même qui était, jusqu’à présent, considéré comme le pilier le plus solide du système de sécurité collective de l’après-guerre. Chacune des menaces réclame un traitement spécifique, aucune n’est moins dangereuse que les autres. Elles ont toutefois un point commun : le rejet des normes juridiques communément admises dans les démocraties et de la prévalence de l’État de droit.

S’agissant du conflit armé, la guerre en Ukraine n’a jamais été considérée par l’administration américaine, même démocrate, comme autre chose qu’un conflit relativement marginal. Néanmoins, même si cela se faisait sans grand enthousiasme, la présidence de Joe Biden a clairement condamné la Russie comme étant l’agresseur et a soutenu l’Ukraine financièrement et surtout militairement, même si cette aide a pu être critiquée comme étant insuffisante et venant parfois trop tard. Mais depuis la réélection de Donald Trump, il est désormais évident que ce conflit est considéré par ce dernier comme un insupportable obstacle à un projet de refaçonnement des relations internationales, et c’est pourquoi il doit cesser au plus vite, à n’importe quel prix. Ce nouvel ordre mondial ne serait plus fondé, comme jusqu’alors, sur des normes reconnues (mêmes très imparfaites et souvent enfreintes) et des règles de conduites établies, mais sur une brutalisation expressément revendiquée des rapports entre les États. Peu importe que ceux-ci soient des adversaires ou des alliés, les relations seront fondées exclusivement sur la recherche, à plus ou moins court terme, d’avantages d’ordre commercial ou financier. Dans cette vision étriquée du monde, il n’y a, en fait, plus vraiment de place pour des « alliés ». Il n’y a plus que des vassaux qui n’ont qu’à se plier sans rechigner aux exigences de grands prédateurs, États-Unis, Russie et Chine, reconnus, ces derniers, comme des égaux et de possibles partenaires.

En réalité, du chaos médiatique entretenu quotidiennement par Donald Trump et ses proches et de leurs  propos confus et souvent contradictoires, il ressort de plus en plus clairement que la menace la plus sérieuse pour les démocraties occidentales n’est peut-être pas tant de nature sécuritaire, dans un abandon de la protection militaire américaine sur laquelle les responsables américains laissent régulièrement planer le doute, mais de nature idéologique. Bon gré, mal gré, il faudra bien que l’Europe se mette en mesure d’assurer sa propre sécurité. Mais il ne faut pas se méprendre, le Trumpisme est bel et bien une révolution. En tout cas, c’est bien ainsi que le conçoive ses partisans, comme une rupture, dans l’ordre interne comme dans l’ordre international. Les propos de Donald Trump peuvent être décousus, ceux d’Elon Musk provocateurs et souvent infantiles, mais ceux du Vice-président Vance, lors de la conférence sur la sécurité à Munich, ont eu le mérite d’être clairs. Il ne s’agit pas seulement d’une redéfinition du rôle et de la place de chacun dans l’ordre international, mais d’une attaque en règle contre les principes mêmes sur lesquels sont fondés les régimes démocratiques des pays européens et occidentaux plus généralement. En s’ingérant à Munich par deux fois de la manière la plus grossière dans les affaires des pays européens et, particulièrement du pays hôte de la conférence, le Vice-président américain a fourni une illustration on ne peut plus éclairante de l’agenda idéologique de la nouvelle administration et de la manière dont elle entendait le mettre en œuvre. Il s’agit de l’exportation dans les pays occidentaux d’une vision de la société et d’une conception de l’exercice du pouvoir déjà en cours de mise en œuvre aux États-Unis. Cette menace est d’autant plus dangereuse que, d’une manière jusqu’alors inconnue, les responsables américains n’hésitent pas à intervenir ouvertement dans la politique intérieure des autres pays en apportant expressément leur soutien à des partis d’extrême droite qui professent une contestation radicale de l’ordre démocratique.

Cette situation constitue bien une menace existentielle pour nos démocraties. Il est temps que le personnel politique européen prenne pleinement conscience que le temps n’est plus à des manœuvres politiciennes dérisoires, mais qu’il va falloir très vite choisir son camp et définir une stratégie sur la base d’un consensus.