Troisième mandat?

Dimanche 30 mars, Donald Trump, lors d’une interview donnée à NBC-News depuis Mar a Lago, a émis l’idée qu’il pourrait exercer un troisième mandat présidentiel, affirmant « qu’il y a des moyens d’y parvenir » et assurant « qu’il ne plaisantait pas ». Propos qu’il a confirmés peu après dans l’avion qui le ramenait à Washington.

Le nombre de mandats qu’il est possible d’exercer est régi par le 22ème amendement de la constitution américaine. Le texte est sobrement formulé :

« Nul ne peut être élu plus de deux fois à la fonction de président et nul ne peut être élu plus d’une fois à la fonction de président s’il a exercé cette fonction ou s’il a agi en qualité de président (« person who has held the office of President, or acted as President »)  pendant plus de deux ans au cours d’un mandat pour lequel une autre personne a été élue à la fonction de président. »

Il semble donc qu’il n’y ait pas la moindre ambiguïté. Dans ces conditions quelle importance accorder aux propos du président américain ? Cet amendement a été adopté à une large majorité bipartisane en 1951 en réaction aux quatre mandats successivement exercés par Franklin D. Roosevelt avant et pendant la seconde guerre mondiale. Cette volonté des législateurs fait écho aux craintes des Pères fondateurs, lors de la rédaction de la constitution, qui redoutaient un retour à la monarchie, même si eux-mêmes n’avaient pas alors imposé de limites au nombre de mandats présidentiels exercés par le même individu. À vrai dire, ce n’est pas réellement la crainte d’une dérive monarchique qui, après la guerre, a motivé cette révision constitutionnelle, mais plutôt une réaction conjoncturelle à une situation née de circonstances exceptionnelles. Dès son adoption, et jusqu’à maintenant, cet amendement n’a d’ailleurs pas cessé d’être contesté, et nombre de personnalités politiques, comme de juristes, ont souhaité rouvrir le débat sur la pertinence de cette limitation.

En soi donc la déclaration de Donald Trump n’aurait rien de très nouveau, si elle ne venait pas d’un président en exercice, ce qui lui donne une importance et un poids politique que n’auraient pas les réflexions d’un président retiré des affaires (Clinton  par exemple) ou de juristes s’exprimant à titre d’experts.

Quels sont donc les « moyens d’y parvenir » évoqués par Trump ? La constitution prévoit bien entendu une clause de révision (article 5), mais il est douteux que cette voie puisse être empruntée tant elle est contraignante. Abroger ou modifier le 22ème amendement requerrait un vote à la majorité des deux-tiers des membres des deux chambres du Congrès et une ratification par les trois-quarts des États. Une deuxième possibilité serait de réunir une convention constitutionnelle à la demande des deux tiers des assemblées législatives des États, dont le vote serait également soumis à ratification par les trois-quarts des assemblées législatives des États.

Le recours à une telle procédure supposerait un consensus bipartisan proprement impensable dans l’état actuel de bipolarisation du paysage politique.

Reste une autre voie évoquée par certains, consistant à jouer d’ambiguïtés de la rédaction de la constitution, donnant lieu à des interprétations qui alimentent le débat depuis des décennies. Ce débat porte sur la rédaction du 12ème amendement de la constitution. Cet amendement, qui détaille longuement et précisément la procédure de l’élection du président et du vice-président, stipule in fine :

« Mais aucune personne constitutionnellement inéligible à la fonction de Président ne sera éligible à celle de Vice-Président des États-Unis. »

Les partisans  de la possibilité pour un président d’exercer un troisième mandat s’appuient sur une lecture littérale et restrictive du texte. Selon leur interprétation, le 12ème amendement préciserait bien les conditions requises pour devenir vice-président, mais celles-ci ne concerneraient que des qualifications telles que l’âge, la résidence et la citoyenneté, tandis que le 22ème amendement, de manière distincte, viserait les conditions requises pour être élu président. Selon certains juristes, un président qui a « servi » deux mandats ne pourrait chercher à être « élu » pour un troisième mandat, mais ne serait pas empêché de « servir » un troisième mandat. Ils en concluent qu’un président ayant effectué deux mandats reste éligible à la vice-présidence. Un ancien président devenu vice-président pourrait ainsi accéder ensuite à la présidence pour terminer le mandat dans le cas où le président élu interromprait son mandat pour quelque cause que ce soit, et ce, alors que cette personne n’aurait pu être élue à la présidence pour un mandat supplémentaire en vertu des dispositions du 22ème amendement. Cette disposition s’appliquerait automatiquement à l’ensemble de la ligne de succession présidentielle (Président de la chambre des Représentants, Président pro tempore du Sénat etc…)

À cela, les défenseurs de la limitation du nombre de mandats répliquent que l’interprétation en question est pour le moins spécieuse et que l’esprit et la lettre du texte sont sans ambiguïté : toute personne qui ne remplit pas les conditions pour être président, y compris requises pour l’élection, ne peut devenir vice-président.

La situation ne s’étant pas encore présentée, le débat reste pour l’heure théorique. Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est qu’il est ravivé par un président en exercice qui a démontré jusqu’à présent qu’il ne s’embarrassait guère du respect des procédures et des règles de droit. Si la question se présentait, elle devrait de toutes manières certainement être tranchée par la Cour suprême. Dominée actuellement par une majorité de juges conservateurs, pour certains nommés par Trump, elle a toutefois montré récemment quelle n’était pas toujours disposée à  valider les décisions présidentielles qui violaient manifestement le droit. Mais qu’en serait-il s’il s’agissait de répondre à une demande de stricte interprétation de la constitution ? En réalité, le moment venu, il est probable que la réponse sera sans doute moins juridique que politique et qu’elle dépendra davantage de l’état des rapports de forces dans le pays lorsque la question sera posée. Si la présidence de Trump est perçue comme un échec par rapport aux attentes qui l’ont porté au pouvoir, il est douteux qu’il puisse bénéficier d’une interprétation de la constitution dans un sens qui lui soit favorable.

Cependant, depuis l’expérience de la tentative de coup de force du 6 janvier 2021, est-il imaginable que « les moyens d’y parvenir » évoqués se limitent uniquement aux instruments du droit ? Encore une fois, seuls les gens normaux ne peuvent pas croire que tout est possible. Or, en moins de 100 jours, cette présidence a démontré que tout était envisageable.

 


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