De l’exercice du pouvoir, ailleurs comme ici.

Au mois de septembre 1993, à Koudougou, lors des funérailles de Maurice Yaméogo, premier Président de la République de Haute-Volta, avant que le pays ne change de nom, tous les chefs d’Etat qui lui avaient succédé étaient présents. A priori, quoi d’extraordinaire à cela ? Seulement voilà, tous ces personnages, ou presque, avaient pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, chacun renvoyant son prédécesseur à une retraite précoce, ou à l’exil dans le cas de Maurice Yaméogo qui n’était revenu au pays que dans un cercueil.

Seul manquait à l’appel Thomas Sankara, disparu dans des circonstances encore obscures, lors de son renversement par le capitaine Blaise Compaoré quelques années plus tôt. Pour un observateur ordinaire de la scène africaine, le spectacle de cette brochette de comploteurs que l’ex-capitaine, désormais Président, avait magnanimement invités, figés côte à côte au bord de la fosse, entourés d’une foule qui se pressait dans une chaleur écrasante, avait quelque chose de surréaliste. D’ordinaire,  en Afrique, les perdants ne sont pas de la fête.

Ce qui se passe aujourd’hui au Burkina Faso doit être observé à travers le prisme de cette anecdote.

La société burkinabe est une société complexe incluant des dizaines d’ethnies pratiquant autant de langues différentes et faisant cohabiter des religions variées. Cohabiter n’est d’ailleurs pas un mot creux en l’occurrence, puisque, à la différence  de nombreux autres pays d’Afrique et d’ailleurs, cette diversité ne s’est jamais traduite, jusqu’à présent, par des conflits sanglants interreligieux ou intercommunautaires. Alors que le pays compte, en gros, deux tiers de musulmans et un tiers de chrétiens (et 100% d’animistes selon une plaisanterie bien connue, probablement non dénuée de fondement), les mariages entre individus de confessions différentes y sont fréquents et ne posent pas les problèmes que l’on connaît ailleurs.

Les raisons en sont sans doute diverses et doivent être recherchées dans  le mode de résolution des conflits.

On a souvent cité le rôle de la parentèle à plaisanterie, qui permettrait de sublimer les antagonismes entre ethnies, clans ou familles au moyen d’échanges d’insultes rituelles, constituant, selon l’ethnologue Marcel Griaule,  une « alliance cathartique ». Cette pratique traditionnelle se retrouve toutefois chez des populations de pays voisins qui sont loin de connaitre la stabilité burkinabé et, sans en sous-estimer l’importance, cette pratique curieuse ne suffit sans doute pas à expliquer la basse intensité des différents entre les groupes sociaux qui constituent la société burbinabé (basse surtout si on la compare avec ce qui se passe dans les pays voisins).

En fait, il faut avoir à l’esprit le fait que l’empire mossi, qui a couvert à peu près l’ensemble du territoire actuel du Burkina, a assuré, du XIIème siècle jusqu’à l’arrivée des Français, une cohésion sociale et culturelle remarquable garantie par des pratiques administratives élaborées. L’habileté avec laquelle les conquérants mossi ont su, en général, intégrer les populations qu’ils dominaient et les faire participer à l’administration de leur empire a été un facteur de stabilité. Cette pratique n’a pas été interrompue avec l’indépendance retrouvée, puisque des membres des diverses ethnies sont présents à tous les échelons de l’Etat et de l’armée, même si les mossi, qui représentent environ 50% de la population, dominent la vie politique.

Aujourd’hui, si l’on observe les participants à la « transition démocratique » qui gravitent autour du pouvoir en train de s’organiser à la suite de la chute de Blaise Compaoré, on voit que les « ténors de l’opposition » comme les appellent les médias occidentaux, ont quasiment tous été, à un moment ou un autre des fidèles compagnons, et exécutants, du Président déchu. Ils se retrouvent ensemble pour rétablir un équilibre des pouvoirs que Blaise Compaoré avait fini par compromettre par aveuglement. Il aurait pu quitter le pouvoir et finir, comme d’autres, à la Banque Mondiale, au PNUD ou dans quelque autre institution internationale, respecté et nimbé de l’aura d’avoir été, somme toute, un véritable chef d’Etat qui a su, pendant un certain temps, conduire le développement de la société burkinabé et donner un rôle reconnu à son pays sur la scène régionale. Seulement, voilà, en Afrique, plus qu’ailleurs encore, il est difficile de concevoir une vie après le pouvoir. C’est pourquoi l’ex capitaine aura raté sa sortie dans l’Histoire.

Vont-ils y parvenir ? Encore une fois, il ne faut pas essayer de comprendre ce qui se passe selon les grilles d’analyse en cours dans d’autres régions du monde. La communauté internationale exige la remise du pouvoir aux civils ? Pas de problème, le conseil de transition désigne Michel Kafando, diplomate rassurant[1], mais celui-ci s’empresse de choisir comme Premier ministre le lieutenant-colonel Isaac Zida, numéro deux de la garde présidentielle qui s’était lui-même proclamé chef de l’Etat quelques semaines auparavant. Grande déception et stupéfaction des commentateurs occidentaux qui s’étaient empressés de saluer la remise du pouvoir à un civil conformément à leurs voeux ! Au conflit ouvert, la société burkinabé préfère, comme d’habitude, l’intégration (ou l’absorption) consensuelle.

La question est de savoir si cela marchera une fois de plus. En bloquant l’évolution politique du pays, après avoir lui-même suscité beaucoup d’espoirs, Blaise Compaoré a généré de fortes  frustrations et des impatiences, particulièrement dans une jeunesse, nombreuse et de plus en plus instruite, au sein de laquelle certains, qui ne l’ont pas connue, rêvent encore de la rupture sankariste, Les mois qui viennent nous diront si la jeune génération partage les traditions de consensus, moins exaltantes, de ses aînés, ou bien si la tentation de la violence l’emporte. Afin que le Burkina Faso reste un exemple de sagesse politique, il faudra de leur côté, que les  responsables de la transition cultivent plus que jamais l’art traditionnel de l’inclusion et prennent soin de ne laisser personne sur le bord de la route.


[1] De la même manière que, dans les années quatre-vingt-dix,  le même Zéphirin Diabré, alors ministre des finances, mais aujourd’hui reconverti « ténor de l’opposition », savait habilement  fournir, à la demande, des Tableaux des Opérations Financières de l’Etat qui remplissaient de joie les missionnaires de la Banque Mondiale, même si ces fameux TOFE, au demeurant cohérents, ne reflétaient que de loin le fonctionnement de l’économie du pays.

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