Dans le sillage de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, certains avaient cru percevoir un frémissement en Europe en faveur d’une réorientation des politiques vers des mesures visant à favoriser la croissance et un allègement des mesures d’austérité imposées aux Etats et, par voie de conséquence, aux populations. D’ailleurs, la chancelière allemande, chantre de cette politique n’était-elle pas mise en difficulté dans son pays après son revers électoral en Rhénanie-Westphalie ? Il n’en fallait pas plus pour considérer comme allant de soi qu’affaiblie, elle allait mettre de l’eau dans son vin, et le président français présentait déjà comme un succès d’avoir pu prononcer le mot « croissance » lors de son premier sommet européen. Personne ne semblait accorder d’importance au fait que Angela Merkel n’ait, à aucun moment, dévié de sa ligne de fermeté que ce soit en public, dans les enceintes européennes, ou dans les entretiens bilatéraux avec ses homologues européens.
Pour que les choses soient encore plus claires, la chancelière s’est livrée ces derniers jours à un triple exercice pédagogique qui a semé la consternation dans les rangs de ceux qui pensaient qu’elle ne pourrait plus être la mère fouettarde redoutée de l’Europe.
Le document issu du ministère fédéral de l’économie rendu public le 6 juin intitulé » Plus de croissance en Europe : emplois, investissements, innovation » est, comme le note Le Monde une leçon d’économie critique à l’intention de la gauche européenne et française en particulier, et, surtout, un rappel argumenté de la vision allemande de la voie par laquelle doit passer le redressement économique au sein de l’Union : discipline budgétaire et réformes structurelles (à tonalité libérale) en priorité, la croissance, moyennant quelques mesures à la marge, venant de surcroît. Même si ce document est largement destiné à nourrir les discussions que le gouvernement entame avec l’opposition, il n’en définit pas moins la position du gouvernement allemand vis-à-vis de ses partenaires européens, la France en tout premier lieu.
Quasiment simultanément, David Cameron, venu à Berlin avec une certaine ingénuité toute britannique dispenser quelques conseils et exhorter les pays membres de la zone euro à adopter une politique de croissance résolue, s’est vu signifier d’une part que, ne faisant pas partie de la zone euro, la Grande Bretagne n’avait en l’occurrence rien à dire sur le sujet et que, d’ailleurs, les mesures en faveur de la croissance resteraient un non sujet, tant que les mesures de redressement budgétaire et les réformes structurelles nécessaires n’auraient pas produit leurs effets, autant dire, pas avant quelques années.
Ce camouflet, passé à peu près inaperçu en France, a été vivement ressenti à Londres. Même si, comme le relevait la BBC, cela avait été exprimé de manière plus diplomatique que ne l’avait fait Nicolas Sarkozy en son temps, la leçon était tout aussi claire et venait rappeler à Londres que le choix qu’elle avait fait de se tenir en dehors de la zone euro la condamnait à subir passivement les conséquences des décisions qui seraient prises par les 17, sans pouvoir peser sur elles.
Enfin, pour couronner le tout, dans un entretien télévisé le 7 juin, la chancelière a tracé le cadre dans lequel devait s’inscrire le redressement de l’Europe sur la durée. Construire une Europe politique plus forte, plus unie, plus intégrée, passant par une union budgétaire et le transfert de davantage de compétences à l’Union telle est, selon elle, la voie de la sortie de crise.
Cet appel à la relance de la construction européenne, au besoin, a-t-elle précisé, au prix d’une Europe à deux vitesses qui laisserait sur le bord du chemin les pays qui ne seraient pas prêts à s’engager, est ressentie à Londres comme le dernier outrage. Le Daily Mail titrait ce matin « We must stop Germany now !”, tandis que, coïncidence, Lord Owen, ancien secrétaire d’Etat aux affaires étrangères du gouvernement travailliste, exhortait dans le Times le gouvernement à tenir un referendum sur la sortie éventuelle de la Grande Bretagne de l’Union européenne.
Le gouvernement français de son côté s’est muré dans un silence embarrassé qu’il va bien devoir rompre rapidement. Le rejet des demandes françaises en faveur d’un changement de cap mais aussi l’appel plus positif à une relance de la construction européenne ne peuvent rester sans réponse.
En fin de compte, que ce soit en croquemitaine ou en leader positive, Angela Merkel a encore de la ressource et ceux qui ont tablé un peu vite sur son affaiblissement ferait bien d’affûter leur stratégie.(PR)