Amer 1er mai
Philipe Martinez a beau fulminer contre le ministre de l’Intérieur qu’il accuse d’avoir saboté la manifestation traditionnelle du premier mai, la responsabilité de l’échec de cette journée n’en incombe pas moins en grande partie aux syndicats protestataires qui ont adopté une stratégie aberrante.
Pour la première fois de mémoire de syndicaliste, un premier mai se déroule avec, il faut bien le dire, une absence quasi totale des syndicats, réduits à un rôle de spectateurs d’un spectacle qui les dépassait totalement. Un secrétaire général de la CGT dans l’impossibilité de tenir une conférence de presse et ensuite exfiltré du cortège, des syndicats comme la FSU, et même le parti communiste, qui renoncent à participer à la manifestation, ce sont là des symboles forts qui devraient amener les responsables de la gauche syndicale, et de la gauche tout court, à réfléchir à la stratégie (ou à l’absence de stratégie) qu’ils ont adoptée vis-à-vis du mouvement des « gilets jaunes » et des violences urbaines récurrentes depuis plusieurs mois.
En prônant une « convergence des luttes » la CGT et l’ultra gauche ont tenté désespérément de capter à leur profit un mouvement qui leur paraissait à même de relancer une dynamique syndicale et politique en perte de vitesse. L’expérience des trois mois passés aurait dû les mettre en garde contre une telle illusion, tant les motivations, les revendications, et les méthodes d’action des uns et des autres sont incohérentes ou incompatibles. Le rejet virulent des organisations syndicales et politiques exprimé de manière constante par les « gilets jaunes » et leurs prolongements radicaux était un autre signal clair qu’il était non seulement illusoire, mais dangereux, de chercher à s’agréger à un mouvement dont la seule raison d’être est désormais l’action violente anarchisante revendiquée, dans le refus de tout dialogue.
La CFDT,ainsi que d’autres syndicats réformistes, se sont depuis le début prudemment tenus à distance de ces mouvements, mais on retrouve chez certains responsables de la CGT d’aujourd’hui et, naturellement bien plus clairement chez les dirigeants de la France Insoumise et des autres petits partis d’extrême gauche, cette vieille tentation de la stratégie du chaos, consistant à privilégier l’alliance avec les éléments contestataires les plus radicaux dans le but espéré de faire émerger les conditions d’une transformation sociale et politique de la société. Et tant pis si au passage une telle stratégie peut conduire à la ruine des institutions démocratiques et, tout simplement, à celle de la démocratie, comme l’enseigne l’expérience de l’entre-deux guerres, avec les résultats que l’on connaît. Mais il semble que certains, malgré des études en Histoire, n’aient rien appris ou tout oublié.
La France Insoumise, le parti communiste et les autres groupuscules de l’ultra gauche continueront de trouver des justifications aux violences de la rue en les opposant à de prétendues « violence sociale », « violence d’Etat » ou « violences policières ». Cette posture révolutionnaire est au cœur de leur discours et fait partie de leur fonds de commerce. Mais si la CGT, dont le seul programme semble se résumer aujourd’hui à revendiquer une augmentation du SMIC, veut redevenir audible et éviter une descente aux enfers, il lui faudra opérer un virage stratégique qu’il ne devrait pas être commode de faire comprendre et admettre par les militants les plus radicaux.
Et c’est bien là le dilemme qui se pose à son secrétaire général, ou bien continuer à courir après une illusoire convergence avec un mouvement de plus en plus radicalisé et de plus en plus minoritaire dans l’opinion, ou bien, après cette démonstration d’échec cuisant, trouver les voies et moyens de revenir en douceur dans le jeu du syndicalisme réformiste afin de regagner efficacité et crédibilité.