Jeu de dupes
Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », étonnamment, le monde culturel et artistique, d’habitude prompt à s’enflammer pour de grandes causes, s’était tenu à l’écart, si l’on excepte toutefois quelques individus de second rang ou sortis de la naphtaline. C’est apparemment chose faite puisque 1 400 personnes, présentées comme des personnalités du monde de la culture, ont pris récemment fait et cause pour le mouvement dans une tribune publiée dans Libération.
Le texte, dont l’orthographe dite « inclusive » ne facilite pas la lecture, se résume heureusement à une argumentation simple :
– les « gilets jaunes », soutenus par des millions de Français, sont un mouvement de citoyens profondément démocrates réclamant des choses essentielles pour tous : « une démocratie plus directe, une plus grande justice sociale et fiscale, des mesures radicales face à l’état d’urgence écologique »,
– le gouvernement et les media mentent et cherchent à discréditer les « gilets jaunes » comme étant des « anti écologistes, extrémistes, casseurs… »,
– la violence est le fait de L’État répressif.
Cette tribune pourrait être simplement amusante sur le fond et la forme, mais, outre le fait qu’elle est trompeuse dans sa présentation, car l’examen de la liste révèle qu’elle n’est nullement représentative de l’ensemble du monde de la culture (une écrasante majorité appartenant aux métiers du cinéma), tant d’aveuglement de la part des signataires fournit l’occasion d’une petite mise au point.
Représentativité. Le mouvement des « gilets jaunes », et cela se confirme semaine après semaine, est le fait d’une très faible minorité de Français (rappelons qu’au mieux de sa forme, en novembre, il n’a rassemblé que 0,8 % du corps électoral, pour tomber à 0,04% samedi dernier). Ces chiffres représentent des faits, pas une opinion, et sont accessibles à quiconque maîtrise la règle de trois. Même si les sondages, avec des variations notables, ont révélé que le mouvement, notamment dans sa phase initiale anti fiscale, avait bénéficié de la sympathie d’une majorité de citoyens (ce qui n’est plus le cas actuellement), il est tout à fait abusif d’affirmer qu’il est soutenu aujourd’hui par des millions de Français.
Démocratie. Les « gilets jaunes » réclameraient « plus de démocratie directe ». En fait, de leurs revendications confuses, il ressort qu’ils réclament la démocratie directe dans sa version la plus radicale, (referendum d’initiative sur les sujets les plus divers, y compris constitutionnels, révocation des élus…), ce qui n’est pas du tout la même chose. Si cette mesure venait à être appliquée, elle aboutirait à un chaos totalitaire.
Violence. Il est une vieille soupe réchauffée qui n’en finit pas d’être servie pour justifier tous les débordements et les conduites répréhensibles et illégales : l’argument de la violence D’État. La violence de la rue répondrait légitimement à celle, illégitime, de l’Etat, à laquelle on ajoute pour faire bonne mesure une « violence économique et sociale », d’autant plus commode à invoquer qu’elle reste floue. Notons au passage qu’employer cet argument, c’est admettre déjà qu’il y a bien violences dans la rue, et que les manifestations des « gilets jaunes » ne sont en rien pacifiques.
A cet égard, s’agissant du « bilan de la répression », il serait plus convaincant s’il était, au moins, fait mention des dizaines de membres des forces de l’ordre gravement blessés (rappelons encore une fois qu’envoyer un pavé, de l’acide ou un cocktail molotov sur un être humain, c’est bien une tentative de meurtre), et s’il n’était pas complètement occulté le fait que dix personnes sont mortes directement par le fait d’actes stupides de « gilets jaunes » lors de l’occupation de ronds-points. Non seulement pas la moindre excuse, ni le moindre geste de compassion, n’ont été adressés aux familles, mais dans une mise en scène macabre et obscène, de faux cercueils des victimes ont été promenés lors d’une manifestation de « gilets jaunes » censée « honorer nos morts ». Tant de lâcheté et de cynisme est confondant.
En fait ce mouvement est intrinsèquement violent. Il l’a été physiquement et verbalement sur les ronds-points et les blocages (les agressions d’automobilistes sont à cet égard largement documentées). Il a continué à l’être lors des manifestations du samedi. Il l’est, en réalité, depuis le début de par la stratégie qui lui a, jusqu’à présent, bien réussi, qui est le refus catégorique de tout dialogue, au besoin en menaçant physiquement ceux qui parmi les « gilets jaunes » auraient été tentés de répondre aux propositions de discussion du gouvernement. Lorsque par principe on refuse le dialogue, il ne reste plus que la violence, qui aujourd’hui est devenue la seule convergence dans laquelle se retrouvent ultras de gauche comme de droite et les « gilets jaunes » restants.
Doit-on rappeler que la quasi-totalité des « victimes de la répression » participaient à des manifestations non autorisées et d’une extrême violence ?
Écologie. S’il y a bien une chose dont personne ne sera dupe, c’est bien la coloration écologique tardive dont on voudrait badigeonner ce mouvement né du rejet d’une taxe à vocation environnementale et qui, à aucun moment n’a mis en avant la défense de l’environnement.
En fin de compte, ce qui dépasse l’entendement, c’est bien l’aveuglement des signataires de cette tribune. Comment ne pas voir que le mouvement des « gilets jaunes » est exactement à l’opposé des valeurs que le monde de la culture affirme défendre. Que les mots d’ordre (anti parlementarisme, rejet violent des « élites » et de la représentation démocratique, volonté d’accaparement de la parole, refus de la discussion, xénophobie) sont en fait ceux d’un mouvement totalitaire, proto fasciste, à qui il manque seulement, heureusement, un chef et un programme. Ce n’est pas la première fois dans notre histoire que des artistes et des intellectuels se font les compagnons de route du totalitarisme. Nous avons la chance de vivre dans un régime d’authentique État de droit, que l’on doit, certes, s’attacher à perfectionner, mais qui a le mérite d’exister, et il n’y en a pas tant dans le monde actuel. Et c’est cet État de droit, ce régime démocratique, jamais achevé mais toujours perfectible, qui garantit aujourd’hui aux citoyens, et en particulier à tous ceux qui participent au monde de la création, de s’épanouir. Demain feriez-vous pour cela davantage confiance à des Drouet, Ludosky, Nicolle, Chalançon, Cauchy, Rodriguez ?
La duperie est d’essayer de faire croire que nous vivons sous un régime corrompu et répressif, tout en jouissant soi-même de tous les avantages d’une démocratie qui garantit effectivement la sûreté et la liberté de chacun, y compris la possibilité de faire publier un texte absurdement provocateur dans un quotidien dont la parution n’est, heureusement, jamais entravée par la censure, ce qui, faut-il encore rappeler les évidences, n’existe que dans des sociétés que les signataires de cette tribune jetteraient avec légèreté aux poubelles de l’Histoire. (PR)