« Gilets jaunes »

Comme il fallait s’y attendre, la montée à Paris des « gilets jaunes » s’est traduite rapidement par des violences sur les biens et les personnes. Il fallait être ou bien d’une grande naïveté, ou d’une très grande mauvaise foi, pour essayer de faire croire que tenter d’occuper sans déclaration un espace public parisien expressément interdit par les autorités, se ferait sans débordements et sans casse. L’absence d’organisation, de dialogue avec les autorités faute d’encadrement, la volonté confuse, mais affichée, de «marcher sur l’Élysée», rassemblaient tous les ingrédients pour une journée d’affrontements violents.
La responsabilité de ce qui s’est passé incombe clairement aux manifestants. L’extrême droite par la voix de Louis Alliot et l’extrême gauche celle de François Ruffin, pour ne citer qu’eux, se sont efforcés d’en rejeter la responsabilité sur les forces de l’ordre et, plus généralement, sur le pouvoir politique, dans une langue de bois pseudo révolutionnaire, mais il faudrait tout de même revenir aux fondamentaux.

Environ 100 000 personnes auraient manifesté dans la France entière dont environ 8 000 à Paris. La prétention de ceux qui s’exprimaient d’être « le peuple » pourrait faire sourire (rappelons au passage que nous sommes 66 millions de Français) si ce mouvement, depuis son début, ne s’était traduit par deux morts, quelque 600 blessés et, probablement, plusieurs centaines de millions d’euros de dégâts et de manque à gagner pour l’économie du pays.
Autre rappel nécessaire, nombre de ceux (mais pas tous) qui ont manifesté à travers la France ont sans doute de réels motifs de mécontentement, mais, d’une part, aucune des taxes dont ils se plaignent, à l’exception de l’augmentation de celles frappant les carburants, n’a été instaurée par le gouvernement actuel et quant au pouvoir d’achat, il a globalement recommencé à croître légèrement depuis deux ans. Que les intéressés ne le perçoivent pas, ou bien qu’ils ne fassent pas la différence entre les taxes (que tout le monde paye) et les impôts (que les moins favorisés ne paient pas), peut se comprendre, mais la réalité n’en demeure pas moins ce qu’elle est, et que, réclamer la démission du président de la République pour quelques centimes de plus à la pompe peut paraître soit légèrement disproportionné, soit relever de l’instrumentalisation politique. Il y a donc un décalage total entre la réalité et le ressenti d’une partie de la population qui peine d’ailleurs à formuler clairement ses revendications.

Cela pose la question du rôle des médias depuis le début de cette fronde, et plus généralement d’ailleurs comme on l’a vu dans d’autres circonstances, comme durant la grève des cheminots au printemps dernier. Durant une semaine, et plus particulièrement lors de la journée de samedi, les chaînes d’information en continu, non seulement n’ont donné la parole qu’à des partisans du mouvement, mais elles n’ont cessé de dramatiser la présentation des événements au point qu’on aurait pu croire que la France était à feu et à sang, quasiment au bord d’un soulèvement général. A aucun moment de ces journées il n’y a eu une seule interview de personne opposée au mouvement, et pourtant, au vu des nombreux incidents, parfois violents, survenus aux points de blocage, il faut bien croire qu’il y avait des gens qui ne partageaient pas du tout la « colère » des gilets jaunes. Très loin d’exercer une fonction d’analyse, de « décryptage » selon une formule chère aux journalistes, ces médias se sont comportés comme des caisses de résonance vides, relayant images et slogans sans aucun recul. Cela a clairement favorisé chez les participants au mouvement une illusion de toute puissance qui a conduit aux errements que l’on sait.
Un minimum d’analyse aurait pu se focaliser sur le traitement des causes de ce mouvement. Se contenter de répéter de manière incontinente « colère » et « ras-le-bol fiscal » ne constitue aucunement une explication. Spontanément, tout un chacun, et le Français particulièrement, considère qu’il paye trop d’impôts (englobant indistinctement taxes, impôts, contributions obligatoires diverses) et, à cet égard, les sondages interprétés un peu rapidement comme un soutien massif aux gilets jaunes, répondaient en fait plutôt à la question « trouvez-vous que vous payez trop d’impôts », question à laquelle il n’est nul besoin d’un sondage pour connaître la réponse.

Enfin, se pose la question de l’avenir politique du mouvement sur lequel l’extrême droite et l’extrême gauche lorgnent avec gourmandise comme sur une possible chair à canon électorale. Marine le Pen et Jean Luc Mélenchon ont toutefois beau se gargariser quotidiennement du mot « peuple » et rêver tout haut de révolution, la France n’est ni celle de 40, ni celle de 89. Ceux qui affectent de douter de la réalité de la démocratie en France feraient bien de prendre l’air et de faire un tour de la planète pour voir ce qu’est réellement un pays sans démocratie. Il n’y a que l’embarras du choix. D’un autre côté, les oppositions classiques de gauche, comme de droite, sont très mal placées pour dénoncer des mesures qu’elles ont pour la plupart mises en place, et peineront certainement à séduire les mécontents qui, pour le moment, rejettent en bloc tout ce qui ressemble à une institution.

Alors, quel avenir ? Soit les « gilets » jaunes seront capables dans les jours ou les semaines qui viennent de se structurer et de faire émerger quelques leaders de leur sein, auquel cas ils seront bien obligés de revenir à la réalité et de prendre le chemin de négociations qui se révéleront sans doute fastidieuses et moins festives, ou bien ils resteront dans l’état nébuleux actuel, de moins en moins nombreux, laissant en route une majorité d’entre eux déçus et amers, tandis qu’une minorité ayant pris goût à la radicalité, risque de continuer dans cette voie et de rejoindre ceux qui samedi dernier saccageaient les Champs-Élysées.

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