A la fin de son ouvrage « The Clash of Civilizations », Samuel Huntington avait tenté d’imaginer ce qui pourrait déclencher une guerre mondiale à notre époque. Tout en soulignant bien les limites de l’exercice, il avait imaginé un enchaînement de situations dans lesquelles les Etats-Unis pourraient être entraînés dans un conflit majeur avec la Chine, provoquant une déstabilisation générale de l’équilibre international. Partant du constat que les relations entre le Vietnam et son grand voisin, qui sont historiquement empreintes de méfiance, avaient à diverses reprises débouché sur des conflits armés violents au cours des années récentes, Huntington décrivait, afin d’avertir du danger, comment un énième conflit frontalier entre la Chine et le Vietnam pourrait entraîner les Etats-Unis et le reste du monde dans un conflit majeur, si ces derniers s’aviser de soutenir le Vietnam dans ce qui, au départ, pouvait être analysé comme une simple crise régionale.
En 1996, date de parution de l’ouvrage, le souvenir de la guerre du Vietnam était encore récent et les relations avec Hanoï se résumant à une politique d’embargo, cet exercice de prospective pouvait paraître très théorique. Aujourd’hui on apprend, sans tambour ni trompette, que les Etats-Unis vont, pour la première fois depuis des décennies, vendre du matériel militaire au Vietnam afin de renforcer sa sécurité maritime. A part les pirates thaïlandais, on ne voit guère qu’un seul pays qui soit susceptible de troubler la paix de ces eaux par ses ambitions hégémoniques.
Certes, les acteurs de ce théâtre ne sont ni des amateurs, ni des naïfs et on devrait pouvoir leur faire crédit d’être conscients des enjeux comme des risques. Il n’en reste pas moins que toute modification, si légère soit elle en apparence, d’équilibres précaires sur une ligne de fracture vive est hasardeuse si elle ne s’accompagne pas d’une claire connaissance mutuelle des intentions des uns et des autres, au risque de mettre le doigt dans un engrenage fatal.
Raison de plus pour relire Huntington.