L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis marque d’abord un retour à la normale. Dans le style tout d’abord, on est loin des flamboyances erratiques de Donald Trump, mais aussi par un certain nombre de gestes par lesquels le président élu a voulu se démarquer de son prédécesseur. En s’abstenant soigneusement dans ses trois interventions post électorales de revendiquer la victoire, tout en laissant entendre qu’elle était inéluctable, et en réitérant les appels à la patience envers ses électeurs et à l’unité envers l’ensemble du peuple américain, Joe Biden a en quelque sorte voulu donner le ton de la future présidence.
Il va hériter d’un pays fracturé. Cela n’est pas nouveau, l’histoire américaine est structurée depuis les origines par des lignes de force antagonistes puissantes, mais les quatre années de Donald Trump, loin d’encourager la résolution des conflits entre des visions divergentes de l’intérêt national au moyen d’un fonctionnement régulier des institutions, n’ont fait qu’envenimer les oppositions en les instrumentalisant, jusqu’à exclure la possibilité d’un dialogue entre les citoyens. Il faudra évidemment davantage que des paroles d’apaisement pour renouer les liens entre ces derniers, mais le contraste est tel avec la rhétorique conflictuelle de Trump, que l’on ne peut déjà que saluer ce début.
La question de l’après trumpisme va bien sûr peser sur les années à venir. Trump n’a pas créé le trumpisme, ce mélange de brutalité, de mépris, voire de haine, des « élites », de déni de toute réalité dérangeante allant jusqu’au mensonge, d’instrumentalisation des rancœurs, parfois justifiées, de certaines partie de la population. Si l’on y ajoute un certain tropisme américain pour privilégier des solutions radicalement simples à des problèmes compliqués, et le foisonnement des théories conspirationnistes en tous genres, il y avait là un terreau fertile pour pratiquer un populisme dont la seule cohérence se résumait à l’humeur du jour du président.
Ce trumpisme là ne va pas disparaître avec Trump, parce qu’il est ancré dans des réalités sociologiques, des pratiques sociales et des représentations qui perdurent et dépassent les alternances politiques. La question qui va donc se poser n’est pas seulement de savoir si les deux Amériques (elles sont en fait multiples) vont pouvoir dialoguer, mais plus précisément comment réintégrer dans un fonctionnement démocratique les débats que le trumpisme a tout fait pour sortir de ce cadre, en dénigrant et minant avec acharnement les institutions et les pratiques qui normalement les encadrent et permettent aux conflits de déboucher sur des issues constructives. Le nouveau président y semble prêt, mais qu’en est-il des Républicains ?
Le GOP se trouve devant un choix crucial qui va déterminer son avenir. De la présidence de Donald Trump, il hérite d’une base électorale en apparence solide, chauffée à blanc pendant quatre ans, installée dans ses certitudes et ses détestations. Faut-il capitaliser sur cet acquis, notamment en vue des prochaines élections à mi-mandat, et continuer à cultiver les positions les plus clivantes, ou bien profiter de l’échec de Trump pour tourner la page et revenir à des pratiques politiques plus civilisées ? L’OPA que Trump a lancée sur le parti républicain en 2016 a pris celui-ci en otage et a anesthésié toute possibilité de voir émerger une personnalité susceptible de donner un autre avenir à la droite américaine. L’occasion lui est donnée aujourd’hui de se débarrasser de celui qui a profondément déconsidéré le parti. Au vu des réactions de quelques élus (et notamment du chef de la majorité républicaine au Sénat) après les accusations de fraude sans fondement lancées par Trump, on pourrait penser que certains y songent. Mais est-ce que, dans leur ensemble, les élus républicains seront prêts à risquer leur siège en décevant les franges les plus radicalisées de leur électorat ? Rien n’est moins sûr. D’autant que beaucoup dépendra de l’attitude que Donald Trump lui-même et son clan adopteront dans les mois qui viennent. Son échec constituera pour lui une blessure narcissique majeure. Elle pourrait le pousser à se retirer de la politique, mais il est bien plus probable qu’il sera tenté de continuer à peser sur l’opinion américaine, par le biais des réseaux sociaux ou d’autres medias, et notamment pour continuer à semer le doute sur la légitimité de son successeur, ne contribuant pas ainsi à un apaisement nécessaire.
2 réflexions sur « Une page se tourne ? »
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Très belle analyse
très beau tes-xte et belle analyse.
Je reconnais là mon camarade de la rue St Guillaume.
BBB