Il fallait un certain courage pour se lever, à Paris, à trois heures du matin pour regarder le premier débat présidentiel de la campagne américaine. D’autant qu’il ne fallait pas s’attendre à autre chose que cela a été : une empoignade qui a rabaissé cet exercice au niveau zéro de la politique. Il fallait être bien naïf, d’autre part, pour espérer un vrai débat sur le fond, un échange courtois sur des programmes, en bref un moment de démocratie ou deux candidats à la magistrature suprême exposent au peuple américain la manière dont ils entendent mener le pays dans les quatre années à venir.
Il n’y a pas eu de débat, non pas, comme certains commentateurs l’expliquent, parce que les deux protagonistes se seraient enfermés dans un monologue sans essayer d’amorcer le moindre dialogue, renvoyant ainsi Donald Trump et Joe Biden dos à dos, mais parce que ce débat était de toutes manières miné dès le départ par la personnalité du président, adepte du mensonge permanent, des affirmations sans fondement et du mépris des règles, à commencer par celle qui veut qu’on laisse parler son interlocuteur lorsque c’est son tour.
L’intérêt de l’exercice n’était donc pas de nous éclairer sur le bien-fondé de l’un ou l’autre programme, Donald Trump a, du reste, été incapable d’un présenter un, alors que Joe Biden a au moins pu tracer les grandes lignes de ce qu’il projetait de mettre en œuvre s’il était élu. L’essentiel de l’intérêt de la rencontre se bornait en réalité à une seule question : est-ce que Biden, peu charismatique, peu agile verbalement et taxé de sénilité par Trump, tiendrait le choc face à un adversaire chaotique, provocateur, agressivement incohérent et totalement irrespectueux ? La réponse a été positive. Ignorant délibérément les divagations de son adversaire, Biden a choisi de s’adresser à plusieurs reprises directement au peuple américain et c’était bien là la seule chose à faire, et c’était également le seul moyen de relever quelque peu le niveau d’un débat qui n’en était pas un. Trump a choisi en revanche de s’adresser à ses partisans les plus extrêmes. Sommé de condamner les violences et d’appeler ses supporters à accepter paisiblement le résultat de l’élection quel qu’il soit, il ne lui est pas venu à l’esprit autre chose que de s’adresser au groupe d’extrême droite suprématiste le plus violent qui le soutient, (les « proud boys »), leur conseillant de manière à peine déguisée de se tenir prêt («Stand back, Stand by»), se comportant ainsi davantage comme un chef de milice que comme le président de la nation.
Beaucoup de commentaires s’étendent sur la « fracture » qui diviserait l’Amérique aujourd’hui et sur le déchaînement de la violence. C’est oublier que les États-Unis ont connu dans le passé, notamment durant la décennie 1960, une violence sociale et politique bien plus forte encore, et que le fossé entre une Amérique farouchement conservatrice et une Amérique libérale court tout au long de l’histoire du pays. La différence est qu’aujourd’hui, en particulier à cause de l’influence délétère du président Trump qui a joué sur ces divisions, les institutions ne remplissent plus, ou mal, leur rôle de médiation qui avait permis jusqu’alors au pays de surmonter ses divisions et d’assurer un fonctionnement démocratique civilisé. Le simple fait de laisser planer le doute sur une passation pacifique des pouvoirs en cas de victoire démocrate est révélateur du degré de corruption de l’esprit démocratique à la tête du pays. La véritable question est là, et ce premier débat n’a en rien dissipé les inquiétudes pour l’avenir que peuvent susciter les quatre années revanchardes et destructrices du mandat de Donald Trump.