Les nouveaux somnambules I

Comme c’était à redouter, l’issue de la primaire de la gauche a consacré la victoire de la frange la plus immobiliste de la gauche française, celle des éternels vendeurs de rêves qui ont préféré le confort douillet des illusions, plutôt que de se colleter avec une réalité en général ingrate.

Manuel Valls a payé le prix de l’exercice du pouvoir et s’est retrouvé en bute au rejet indiscriminé de tous ceux ayant exercé des responsabilités et à un travail de sape systématique d’une partie de sa propre majorité dont le seul point commun vraiment fort était de l’éliminer.

Quoiqu’on puisse penser de la manière dont François Hollande a rempli, ou non, ses engagements de campagne, un sens minimum de la discipline collective aurait voulu que les ministres  qui se trouvaient en désaccord avec les orientations du chef du gouvernement, et certains députés, ne se livrent pas à une guérilla incessante qui a fortement contribué à ruiner dans l’opinion l’image, non seulement du gouvernement, ce qui était leur but, mais aussi de la majorité socialiste elle-même. Cette « fronde », dont les acteurs     auraient pu se souvenir que le terme renvoie à un mouvement fort réactionnaire de notre histoire, a trouvé son aboutissement dimanche en désignant le candidat qui n’a probablement aucune chance d’être élu à la présidence de la République.

Au-delà des causes de rejet qui pourraient tenir à la personne de l’ex premier ministre, (on lui a reproché d’avoir été trop « clivant », d’avoir trop souvent choisi de passer en force, mais avait-il le choix ?), la cause profonde de son éviction réside au cœur de la gauche française : la gauche française n’aime pas le pouvoir. Continuer la lecture

Raison et Election

Que ce soit au Royaume Uni pour décider de l’avenir du pays dans l’Europe (et de son avenir tout court), ou aux Etats-Unis pour choisir le nouveau président (choix auquel nous ne pouvons être indifférents) ou, tout récemment en France, lors des récentes primaire pour désigner les futurs candidats à l’élection présidentielle, tous ces scrutins qui ont émaillés cette interminable période électorale présentent quelques points communs.
On pourrait naïvement penser que dans une démocratie qui fonctionne (ce qui est tout de même bien le cas dans ces trois pays, malgré quelques chaos), une élection sert à choisir un homme et un programme, le premier pour son aptitude présumée à diriger un État, le second parce que les électeurs l’estime souhaitable et réalisable. Eh bien, non! Il semble que ce soit là vue de l’esprit. Les électeurs britanniques, que ce soit délibérément ou par abstention, ont fait un choix qui produira vraisemblablement les effets inverses de ceux qu’attendaient les partisans du Brexit, tandis qu’aux Etats-Unis a été installé à la Maison Blanche un personnage fantasque qui, là encore, a fort peu de chances de réaliser un programme se résumant à “making America great again”. Certes, on pourra objecter que ce choix n’est pas conforme au résultat du vote populaire, puisque l’adversaire de Donald Trump avait une avance non négligeable en termes de suffrages, mais personne à ce jour n’a remis en cause ce mode de scrutin archaïque, légitimant ainsi le vainqueur de l’élection.
Le cas des primaires pour l’élection présidentielle en France n’est pas moins intéressant. La primaire de la gauche n’est pas encore achevée, mais déjà le résultat du premier tour reproduit de manière très similaire ce qui s’était passé lors de la primaire de la droite : le choix des électeurs s’est porté sur le candidat le plus inattendu et sur le programme le plus radical et le plus utopique. Personne ne met en doute les qualités d’homme d’état de François Fillon, Premier ministre pendant cinq ans, mais, même dans son camps, pas grand monde n’est convaincu de la faisabilité d’un programme dont la brutalité risque de mettre le pays dans la rue pour des gains économiques hypothétiques. Quant aux résultats du premier tour de la primaire de la gauche, les électeurs ont placé en tête un candidat auxquels ils ne croyaient pas vraiment puisque, si l’on en croit le sondage réalisé par BFMTV, à la différence des électeurs qui ont choisi Emmanuel Valls pour ses qualités d’homme d’état (à 52%) et ses chances d’être élu président de la République (à 30%), les électeurs de Benoît Hamon ne sont que 9% à trouver qu’il a les qualités nécessaires à un président et 3% à croire qu’il a le plus de chance d’être élu président en 2017. Au fond, c’est comme si une large partie des électeurs avaient déserté le réel pour se complaire dans des rêves qu’en eux-mêmes ils savent parfaitement irréalisables.
Comme disait quelqu’un qui s’y connaissait, “les faits sont têtus”, se détourner de la réalité n’est pas seulement dangereux, parce qu’à marcher les yeux bandés, on risque l’accident, mais parce que c’est le plus sûr moyen de se priver des moyens de transformer le monde. La gauche, tout particulièrement, qui revendique cette ambition devrait y réfléchir.