Les nouveaux somnambules I

Comme c’était à redouter, l’issue de la primaire de la gauche a consacré la victoire de la frange la plus immobiliste de la gauche française, celle des éternels vendeurs de rêves qui ont préféré le confort douillet des illusions, plutôt que de se colleter avec une réalité en général ingrate.

Manuel Valls a payé le prix de l’exercice du pouvoir et s’est retrouvé en bute au rejet indiscriminé de tous ceux ayant exercé des responsabilités et à un travail de sape systématique d’une partie de sa propre majorité dont le seul point commun vraiment fort était de l’éliminer.

Quoiqu’on puisse penser de la manière dont François Hollande a rempli, ou non, ses engagements de campagne, un sens minimum de la discipline collective aurait voulu que les ministres  qui se trouvaient en désaccord avec les orientations du chef du gouvernement, et certains députés, ne se livrent pas à une guérilla incessante qui a fortement contribué à ruiner dans l’opinion l’image, non seulement du gouvernement, ce qui était leur but, mais aussi de la majorité socialiste elle-même. Cette « fronde », dont les acteurs     auraient pu se souvenir que le terme renvoie à un mouvement fort réactionnaire de notre histoire, a trouvé son aboutissement dimanche en désignant le candidat qui n’a probablement aucune chance d’être élu à la présidence de la République.

Au-delà des causes de rejet qui pourraient tenir à la personne de l’ex premier ministre, (on lui a reproché d’avoir été trop « clivant », d’avoir trop souvent choisi de passer en force, mais avait-il le choix ?), la cause profonde de son éviction réside au cœur de la gauche française : la gauche française n’aime pas le pouvoir.

Le programme de Benoît Hamon, qui oscille en irréalisme et surréalisme, comporte à cet égard en matière institutionnelle quelques propositions révélatrices : la limitation sévère de l’usage de l’article 49.3 et l’institution d’un « 49.3 citoyen » qui permettrait aux électeurs, moyennant des conditions relativement légères, de bloquer un projet ou une proposition de loi. Les institutions de la Vème République reposent sur quelques idées fortes dont l’application se traduit dans quelques mécanismes constitutionnels simples. Le contrat de majorité en est la clé, l’article 49.3 en garantit la mise en œuvre : les députés n’ont le choix qu’entre accepter de facto le texte qui leur est présenté ou renverser le gouvernement à leurs risques et périls. Cette disposition, entre autres, mais de manière significative, a assuré à la France une stabilité gouvernementale d’une exceptionnelle durée. Une limitation drastique du l’utilisation de cette disposition permettrait à toute majorité  de voter en quelque sorte « à la carte » en choisissant dans le programme du gouvernement ce qui lui convient et en bloquant les projets de loi qui ne lui plaise pas. Quant au « 49.3 citoyen », il ouvrirait la porte à tous les lobbies et groupes de pression qui pourraient ainsi surveiller en permanence l’action gouvernementale et l’immobiliser à leur guise.

Au fond, cette partie de la gauche qui sait qu’elle est structurellement minoritaire, n’a jamais vraiment accepté la Vème République. Elle rêve d’une « VIème République » dans laquelle le pouvoir se diluerait dans une démocratie participative mythifiée, et qui, dans les faits, serait un retour au régime de partis tels que celui que nous avons connu sous la IVème République, probablement en pire.

Dans un tel état d’esprit, il n’est pas étonnant que cette gauche de non gouvernement se permette d’avancer un programme aussi irréaliste, à commencer par la création d’un revenu universel, qualifiée de « mesure phare » du programme.

L’idée de verser un revenu universel distribué à tous, même si la proposition a été revue pour être étalée dans le temps en commençant par les 18 – 25 ans, pose non seulement la question de sa faisabilité budgétaire, à laquelle il n’a pas été vraiment répondu, mais aussi celle de la notion même de travail, de sa signification et de sa valeur éventuelle. Particulièrement pour la gauche qui en a toujours fait un point central de sa réflexion sur la question sociale, il ne s’agit pas d’un sujet anodin. Benoît Hamon l’évacue en posant comme postulat non démontré que le travail est voué à disparaître. C’est un peu court. Et comme il faudra bien trouver des ressources pour payer les gens qui ne travailleront plus, Benoît Hamon se propose de taxer dès à présent les robots censés être responsables de la disparition des emplois. Outre que la mise en œuvre de cette proposition se révélerait sans doute ardue, elle témoigne de réflexes technophobes qui rappellent les réactions contre le machinisme à l’aube de la révolution industrielle. On n’est pas vraiment là dans une dynamique de progrès.

De manière tout à fait cohérente, les propositions visant à encourager la réduction du temps de travail en dessous des 35 heures, ou le droit « inconditionnel » au temps partiel s’inscrivent dans la même logique de partage du travail dont la quantité globale irait par définition s’amenuisant.

Enfin, d’une manière générale, le refus de chiffrer l’ensemble des mesures dont certaines, comme le revenu universel au premier chef aurait un lourd impact budgétaire, ne témoigne pas d’une grande volonté d’apparaître crédible.

Benoît Hamon a offert un quart d’heure de rêve à un électorat nostalgique qui se console de son impuissance en s’autoproclamant gardien des valeurs de la gauche. Ce n’était pas une bonne action. Il aurait été mieux et plus responsable de montrer à ces électeurs, pour la plupart certainement de bonne foi, que le mode déclaratif n’est certainement pas le meilleur outil pour faire avancer la société. Et que le progrès passe essentiellement par l’exercice pas toujours séduisant du pouvoir, et que, selon une formule galvaudée mais toujours d’actualité, gouverner, c’est l’art du possible.

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